Neotech University

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Article numéro 2

  • erron du Palais de justice
  • Notes, références et divers trucs (notamment des images que je n’ai pas encore toutes scannées)
❄️

Présumé coupable

« Couvre-toi, tu vas prendre froid ! », « ferme ton manteau, tu vas attraper la mort ! »… Nous l’avons tous entendu, et nous l’avons tous probablement déjà dit. Après tout, c’est vrai, rhume, grippe, pharyngite : on tombe souvent malade en hiver. Mais comme on va le voir, les apparences sont parfois trompeuses…

Faites entrer l’accusé, mais fermez la porte, ça va faire courant d’air…

Ah, le froid, un coupable idéal ! Durant des siècles, on a vu des maladies revenir avec la régularité des saisons. En hiver, il fait froid… on n’est pas allé chercher beaucoup plus loin. Ça ne pouvait être que lui, le responsable !

Il faut dire que tous les indices étaient contre lui… Si une fièvre débute, la différence entre température interne et température de la peau nous fait, un temps, frissonner – donnant l’impression que le froid est entré en nous, qu’on l’a attrapé. Et puis… au fil du XIXe siècle, les travaux de figures comme Pasteur ou Koch ont démontré que la cause d’innombrables maladies, ce sont des « micro-organismes », bactéries, ou virus. Et justement, la grippe : les premiers virus responsables ont été identifiés au début des années 1930 [1] ; quant à ce qu’on appelle un rhume, on a mis un peu plus de temps à le savoir : il s’agit d’une fois sur dix de l’effet d’une bactérie, de neuf fois sur dix d’un virus, le plus souvent des rhinovirus [2]. Le premier rhinovirus a été découvert en 1956[3].

Depuis lors, il n’y a plus aucun doute : sans ces divers virus, pas de grippe, pas de rhume. D’ailleurs, vous pouvez rester tout nu quelques heures sur votre terrasse en hiver, ou dans une chambre froide : si aucun de ces virus n’est dans le coin, vous aurez froid, c’est sûr, mais vous ne tomberez pas malade. Pensez à rentrer, quand même au bout d’un moment, quand le corps ne peut plus produire suffisamment de chaleur, on rentre dans une situation d’hypothermie… Mais là, on n’est plus dans les maux de l’hiver.

Pourtant, on l’a dit, ces infections virales augmentent en nombre à l’approche de l’hiver, et diminuent avec la venue du printemps. La baisse de température joue-t-elle un rôle, ou est-ce autre chose ?

Cette question a fait s’arracher les cheveux aux chercheurs depuis qu’ils savent que les virus sont les acteurs du crime. Le froid est-il complice ? Simple témoin ? C’est d’autant plus épineux que chaque virus a un profil différent, une dynamique infectieuse différente. Enquêter sur les liaisons entre froid et la petite délinquance virale des rhinovirus nous apprendra des choses, mais peut-être que la situation est très différente pour des Al Capone comme les virus de la grippe.

Trois familles d’hypothèses

Pour expliquer la recrudescence des maladies hivernales, de très nombreuses hypothèses (à valider virus par virus) ont été proposées [4]. Elles peuvent être classées en trois types. Insistons, il ne s’agit que d’hypothèses.

  • Le froid nous affaiblirait, avec pour conséquence des infections plus faciles
  • Le froid créerait des conditions permettant au virus de se frayer un chemin jusqu’à nous
  • Le froid permettrait une plus grande survie des virus à l’air libre en attendant qu’ils trouvent leur hôte

Faire des expériences sur les maladies infectieuses impliquant de nombreux risques, une part importante des recherches se sont concentrées sur les virus les moins dangereux : ceux qui causent le rhume.

Le froid ne nous affaiblit pas tant que ça…

La première famille d’hypothèses (« le froid nous rendrait plus susceptible aux infections ») a été explorée au cours des années 1960.

Question posée : si le virus arrive dans nos narines alors qu’on dépense de l’énergie pour lutter contre le froid, tombe-t-on plus souvent malade ? Pour l’évaluer, les chercheurs ont réalisé des inoculations directes de virus dans les narines de volontaires, avec une petite pipette[5]. Une partie des participants étaient en shorts et sous-vêtements, en coton léger, pendant au minimum une demi-heure dans des pièces à 4°C et 10°C. D’autres avaient le droit à une petite laine, dans la pièce à 10°C. D’autres étaient dans un bain à 32°C. Des volontaires se sont vu administrer un rhinovirus dans les différentes salles, d’autres peu après en être sortis. L’étude n’a montré aucune différence entre les différents groupes, ni en terme d’infection, ni en terme de symptôme, ni même de réactivité du système immunitaire. On a continué les séances pour voir si cela avait une influence sur le temps d’incubation. Rien non plus[6].

On a également vérifié que des muqueuses vraiment irritées (par le froid ou autre chose) n’étaient pas plus accueillantes pour les virus du rhume. Dans les années 1990, des biopsies de la muqueuse nasale avant des inoculations de rhinovirus ont été réalisées, et les chercheurs ont constaté qu’il y avait autant d’infection qu’on ait le nez très irrité ou pas du tout [7]. En 2000 [8], une équipe a même volontairement exposé un groupe d’allergiques à des allergènes, quelques jours avant inoculation, pour bien irriter leurs narines… Là encore, pas de différences avec un groupe allergique témoin.[9][10] On le voit, les hypothèses du premier groupe ont été progressivement réfutées, concernant le rhume. Concernant la grippe, vu la méthodologie employée, on n’a guère pu reproduire ces expériences [11] ; mais on voit que les hypothèses du premiergroupe sont finalement peu étayées.

Faire le tri dans les hypothèses relatives aux conditions de circulation des virus

On entend parfois dire que l’hiver accroît la promiscuité entre les hommes, favorisant les échanges viraux. Mais quand on y réfléchit, on prend le métro tout au long de l’année, les enfants sont en classe dix mois sur douze, donc ce n’est pas l’explication. Les différents virus ne se transmettent pas tous de la même façon avec la même facilité. Pour les rhumes, ils se transmettent surtout via de grosses gouttelettes, des postillons, et un peu par contact [12]. Les virus grippaux parviennent beaucoup plus facilement à infecter en étant dispersés en petite quantité dans l’air [13]. Justement : selon des études menées entre 2007 et 2012 [14] sur la dissémination du virus de grippes humaines sur des cochons d’Inde – oui, on peut donner la grippe à son cochon d’Inde[15] – un froid sec apparaît comme un milieu propice à la diffusion de ces particules virales dans l’air. Elles ne sont pas rabattues vers le sol par la condensation. À l’inverse, un air relativement chaud et très humide semble maintenir les gouttelettes en suspension. Des conditions qui rappellent celles d’un bureau où on pousse le chauffage trop fort ! Sachant que, pour les virus responsables du rhume, les études de cas semblent invalider cette explication[16].

L’hypothèse de la survie des virus dans le froid

La dernière hypothèse… est la bonne.

Qu’il s’agisse de survie sur des surfaces inertes [17] ou dans des gouttelettes d’humidité, toutes les expériences montrent que le froid (tant que ça ne gèle pas) et l’humidité (idem) permet aux particules virales de rester infectieuses des dizaines d’heures [18] ! On a d’ailleurs appris récemment que certains virus de la grippe lâchés dans le froid disposaient d’une sorte d’enveloppe de protection, qui ne se désagrégeait que dans un environnement chaud.

La probabilité de tomber malade est tout simplement, et directement, liée à la probabilité de croiser un virus capable de nous infecter.

On ne doit donc plus dire…

Pour récapituler l’état des connaissances scientifiques sur les deux maladies emblématiques de l’hiver, vous ne devez désormais plus dire